Les agences de notation actuelles ont été fondées aux États-Unis lors du développement du réseau ferroviaire. Un développement qui demandait des capitaux colossaux. Les 3 principales agences sont créées entre 1909 (pour Moody’s) et 1924 (pour Fitch). Leur histoire a été chahutée par les différentes crises qu’ont connus les marchés financiers.
La première et plus importante crise fut celle de 1929. A cette époque, les agences se contentaient d’évaluer la solvabilité des emprunteurs en considérant exclusivement les dettes à long terme. La crise aura montré les limites de cette évaluation, poussant les agences à prendre en considération les dettes à court terme. La SEC, l’agence de surveillance des marchés financiers américaine, se voit octroyer également plus de contrôle à l’encontre des agences de notation suite à cette crise.
Mais l’histoire continue son cours et les erreurs se répètent.
En 2001, nouveau dérapage. Le scandale de la faillite d’Enron, entreprise notée comme très sûre par les deux principales agences américaines quelques jours avant sa faillite en 2001, ébranle la planète finance. Puis le même schéma se répète 7 ans plus tard pour la banque d’affaire américaine Lehman Brothers et les véhicules financiers contenant les subprimes. Leur nocivité n’est à présent plus à démontrer au vu de la crise qui en a découlé. Une nocivité qui n’avait pas été décelée et qui a permis aux banques américaines de lancer des crédits hypothécaires à tour de bras, y compris pour des gens incapables de les rembourser, tout en mutualisant les risques. Cette pratique a été rendue possible grâce à l’excellent AAA dont disposaient ces crédits. Une nouvelle gifle qui aura décrédibilisé une nouvelle fois les agences et leurs notes.
Les agences de notations ne sont donc pas fiables. Et pour plusieurs raisons. Il y a d’abord une série de critiques que l’on peut leur imputer sur leur façon de fonctionner. Il y a aussi certaines réactions politiques qui ont amplifié le phénomène et cela parce que le pouvoir que ces agences ont, n’est pas uniquement le fruit de leur propre prestige.
Tout d’abord, il est impossible d’évaluer si le système d’évaluation des agences est valable ou non. Leur système de notation est obscur et manque cruellement de transparence.
Deuxièmement, le manque d’acteurs dans le secteur rend difficile l’efficacité de la concurrence. L’homogénéité des notes des trois agences américaines pourrait être perçue comme une validation des schémas d’évaluation, mais au vu des crises traversées, elles donnent plutôt l’impression de s’être entendues sur les notes sans vraiment évaluer les emprunteurs sur de bonnes bases. On peut le voir déjà par rapport à la note des USA qui est assez homogène auprès des 3 agences américaines, mais le son de cloche diffère assez fortement du côté de Dagong, l’agence chinoise.
Troisième critique importante, les trois principales agences sont américaines toutes les trois. Et on le voit de nouveau, il semble que ce facteur soit un handicap quant à l’évaluation des instances américaines. Si ces trois agences s’en donnaient à cœur joie contre les dettes souveraines des pays européens, il aura fallu du temps avant qu’elles n’osent remettre en cause le triple A (meilleure notation) des USA. Une situation d’autant plus préoccupante que les Etats-Unis rassemblent à eux seuls une dette équivalente à l’ensemble des pays développés.
Leur système de rémunération fait également apparaitre un conflit d’intérêt. Pour fonctionner, les agences ont besoin de clients, d’entreprises qui demandent des notations. Et pour le prix demandé, rares sont les managers qui accepteraient de voir attribuer une mauvaise note à leur entreprise. Les notations courent donc le risque d’être enjolivées pour attirer les entreprises.
Cinquième critique dont l’Europe a fait les frais, après une période de laxisme sur la rigueur des notations, une fois la crise déclenchée, les agences tentent par tous les moyens de récupérer la reconnaissance qu’elles ont perdu. Elles ont alors tendance à sur-réagir et abaisser les notes bien plus que nécessaire, aggravant encore plus la crise. Le cas de la dette grecque en est un superbe exemple.
Et dernière critique tout aussi importante, le calendrier des publications des notations est totalement anarchique. Il suffit qu’un pays présente des difficultés pour que les agences s’y intéressent et abaissent la note. Cette révision, ponctuelle, arrive en plein milieu des séances de cotation des marchés financiers, marchés qui ont les nerfs à vif avec la crise financière qui a sévi. Leur sang-froid est mis à rude épreuve et ils ont une forte tendance à réagir avec disproportion. Et lorsque les réévaluations des notes arrivent sur le marché, les analystes n’ont pas le temps d’évaluer l’impact et la pertinence de celles-ci que c’est déjà la débâcle générale. Les marchés plongent direction le rouge vif.
Il y a deux facteurs de la sphère politique européenne qui sont tout aussi critiquables. Parce que le pouvoir que ces agences ont ne leur est pas tombé du ciel. La BCE développe son système monétaire sur base des notations des agences. Pour pouvoir émettre de la nouvelle monnaie, la Banque Centrale Européenne doit retenir en compensation des titres désignés comme sûrs, dont la valeur est garantie au terme. Elle ne peut donc prendre en réserve que des valeurs de haute qualité. Il y a bien sûr les métaux précieux dont l’or qui constituent une première réserve. Pour les titres, ne sont gardés en réserve que ceux disposant d’une excellente notation. Si cette condition n’est pas remplie, la Banque Centrale ne peut retenir ces titres, et ne peut même pas en détenir.
Avec les dégradations en chaîne qu’ont connues les pays méditerranéens de la Zone Euro, la Grèce, puis le Portugal se sont rapidement retrouvés en dehors des critères pour jouir de l’assistance de l’institution de Frankfort. Une situation qui n’a pas apaisé les marchés.
Et lorsque la crise était entamée, chaque notation était vécue comme un drame par la classe politique européenne. Ou à tout le moins elle en donnait l’impression. Ce qui ne réconfortait absolument pas les marchés, en manque de repères. C’est là certainement la principale critique que l’on peut reprocher au bouillant président Sarkozy, toujours prompt à la réaction, même trop quant aux dettes souveraines.
Il est vrai que les agences de notation sont les thermomètres de l’économie, et de ce fait leur existence est cruciale. Il est peut-être également absurde de leur reprocher l’entièreté de la crise actuelle. Mais absurde dans une certaine mesure seulement. Parce que les dérives décrites précédemment témoignent du rôle certain qu’elles ont joué dans la crise. Elles ne sont pas seules responsables, mais ne peuvent être considérées comme innocentes.
Pour palier à certaines critiques, ce mercredi 16 janvier, l’Europe légiférait sur la question. Une proposition a été approuvée au Parlement restreignant notamment les actionnaires bénéficiant de notations à détenir une trop grande participation dans les agences. Une disposition sensée permettre à ces dernières de jouir d’une autonomie et éviter les pressions. Cette directive européenne encadre également les périodes d’émission des notations, qui ne peuvent plus se faire qu’à période fixe. Le marché peut dès lors mieux anticiper les différentes publications.
La création d’une agence européenne, proposée au plus fort de la crise, a été mise de côté pour le moment, et ce jusqu’en 2015. En cette période encore tourmentée sur les marchés financiers, donner une direction supplémentaire par l’intermédiaire d’une cinquième agence risque d’encore faire perdre la tête aux investisseurs. L’agence chinoise Dagong présente déjà un contrepoids par rapport aux agences américaines. De ce fait, la classe politique européenne ne semble plus unanime sur la nécessité de la création d’une agence de notation européenne.
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